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Photo du rédacteurJude D.

Consentement et contractualisation de l'exploitation des femmes

Dernière mise à jour : 7 oct.

Le succès actuel de la notion de "consentement" et sa percée dans le champ de l'intime traduit le basculement de notre société vers une vision du monde ultralibérale basée sur la toute puissance du saint "choix", qui masque la réalité des inégalités et des rapports de force qui traversent notre société, ce qui aboutit à fragiliser encore plus les femmes en les offrant sur un plateau à la merci de tous les exploiteurs.



Les féministes radicales alertent depuis longtemps sur le problème que pose la notion de "consentement" et les velléités de reconstruire une définition du viol autour de cette dernière, ce qui représenterait en réalité un immense retour en arrière pour les femmes et s'inscrit dans une volonté plus large d'autoriser la contractualisation de l'accès à nos corps et à nos personnes.


Une démarche qui va dans le sens des intérêts de deux "industries" reposant sur l'exploitation des femmes :


- la porno-prostitution 


- la maternité de substitution dite GPA


Le "consentement", est une notion centrale en droit des contrats dit également droit des obligations, car notre consentement au contrat nous oblige : il nous oblige à respecter l'engagement pris, le non respect de nos obligations contractuelles, exprimées par notre consentement, pouvant être sanctionné par un juge, qui a le pouvoir de contraindre la partie récalcitrante à s'en acquitter ou la condamner, à défaut, au paiement de dommages et intérêts, entre autres.


La notion de consentement n'est donc pas anodine, car elle inscrit immédiatement un rapport interpersonnel dans le champ contractuel et donc dans celui de l'obligation, de la contrainte et de la possible sanction en cas de non-respect.

Et si on applique cette logique à un "contrat de travail" entre un proxénète et une prostituée, on obtient la loi belge, où le proxénète pourrait apparemment saisir un médiateur si une prostituée se soustrayait à ses obligations contractuelles, en refusant des passes dépassant le quota légal de refus autorisé par la loi.


Le recours à un tiers afin de résoudre un litige contractuel n'a rien de choquant et représente la base du droit des obligations.



En France, nous sommes en tant qu'êtres humains, hors du commerce, donc hors du champ contractuel, c'est-à-dire que notre corps, les rapports intimes que nous entretenons, comme de nombreuses autres choses, ne peuvent pas être l'objet d'un contrat.


Nous sommes juridiquement indisponibles, nous ne pouvons disposer de nos corps ni de ceux des autres, par contrat.

Cette obsession, cette cristallisation de l'attention autour de la notion de "consentement", comme si elle devait devenir l'alpha et l'oméga des rapports sociaux, des rapports humains, cette obsession à vouloir faire entrer le domaine de l'intime, de nos corps, dans le champ contractuel devrait nous inquiéter très fortement, car c'est une démarche qui, si elle est dramatique en soi, l'est en particulier pour les droits des femmes et des plus vulnérables en particulier.


En considérant, par principe, la relation sexuelle comme un contrat oral équilibré entre deux personnes de force équivalente, comme l'implique l'application de la théorie générale des obligations, on nie complètement la réalité des rapports de force qui sous-tendent les violences dont les femmes sont les principales victimes.


Cette tentative d'imposer le "consentement", et la logique contractuelle qu'il exprime, comme base de tous les rapports interpersonnels participe en effet à invisibiliser la réalité des rapports de force existant dans notre société et qui s'exercent au détriment des femmes: cela dépolitise la question des violences qui nous sont faites en renvoyant chacune à sa situation individuelle au lieu de traiter cette question pour ce qu'elle est, un problème de société qui nous concerne toutes.


Donc, bien évidemment que la loi belge qui base sa définition du viol sur le consentement, n'a pas empêché à la loi autorisant l'exploitation sexuelle des femmes par les prostitueurs "clients" ou "proxénètes" d'être votée, puisqu'elle s'inscrit parfaitement en cohérence avec celle-ci, dont elle n'est au final que l'aboutissement logique.


Elles s'inscrivent dans la même dynamique, tout comme la contractualisation de l'exploitation reproductive des femmes, qui est d'ailleurs également en cours de mise en place en Belgique... Parfaitement logique.


Après tout, ne l'ont-elles pas choisi ces femmes ? N'y ont-elles pas consenti ?


C'est d'ailleurs le leitmotiv de tous les pro-exploitation reproductive et sexuelle des femmes à qui il fait office de seul et unique "argument".



Il faut bien comprendre que c'est parfaitement cohérent qu'une société qui dépolitise la question du viol en la résumant à un problème d'échange de contentements entre pairs - lequel pourrait parfois être vicié, dans des cas délimités par la loi - et met en place un système juridique qui inscrit l'intime et l'humain dans le champ contractuel, permette de contractualiser l'exploitation reproductive et sexuelle des femmes, avec toutes les conséquences délétères qui peuvent en découler.


Il n'y a là rien d'étonnant.


Et il convient d'être parfaitement lucide sur les enjeux auxquels nous sommes confrontées.


"La dignité de la personne humaine n’est ni un droit subjectif, ni même un droit de l’homme. Elle est un principe, plus précisément le principe premier."

La focalisation autour de cette notion de "consentement", en ce qu'elle consacre une toute puissance de la liberté individuelle, constitue également un retour en arrière dans la construction de notre édifice de droits et libertés fondamentales qui avait permis au principe de Dignité de la personne humaine d'émerger et de palier les carences du principe de liberté individuelle, quand il avait montré ses limites à protéger les plus vulnérables...


"Pendant longtemps, le principe de liberté a suffi à assurer la dignité de la personne humaine. Le concept de dignité n’est apparu sur le devant de la scène que lorsque les droits de l’homme traditionnels, centrés sur l’individu, sa liberté, sa vie privée, et son autonomie, n’ont plus suffi.
Comme l’a judicieusement expliqué un auteur, les déclarations des droits sont en réalité faites en considération des ennemis du moment . Or à l’époque des grandes déclarations occidentales, l’Ennemi était L’État, et le risque principal l’oppression et la perte de liberté.
Mais « l’expérience nazie a dévoilé un autre ennemi : la barbarie étatique. Ainsi, l’État démoniaque a-t-il pris la place du despote, vieux concept qui date de l’Ancien Régime » 
Aujourd’hui, l’ennemi n’est en outre plus seulement (et même en réalité plus principalement) l’État.
La barbarie, et plus largement le risque de déshumanisation, sont l’une des faces du développement démesuré de la technique et du marché. La résistance change alors de visage : « il ne s’agit plus d’opposer la liberté au despotisme mais la dignité à la barbarie » 
Concrètement, le principe de dignité exige, pour reprendre la formule du Conseil constitutionnel français, de sauvegarder la personne humaine « contre toute forme d’asservissement et de dégradation ».
La dignité de la personne humaine implique d’abord, selon l’impératif kantien, que la personne ne soit jamais utilisée simplement comme un moyen, mais toujours en même temps comme une fin.
La personne humaine doit être reconnue comme une personne juridique, dotée de volonté, et non pas instrumentalisée par autrui et ainsi avilie.
Le principe de dignité interdit alors de réifier l’être humain en l’utilisant comme une chose, c’est-à-dire en l’aliénant à une autre fin que lui-même.
L’homme ne doit pas être utilisé comme un animal ou un objet (interdiction de l’esclavage ou du travail forcé ou, plus ponctuellement, des contrats de mère porteuse, de prostitution, ou encore de lancer de nain), ni comme un réservoir de pièces détachées ou de matériaux biologiques (cela est tout l’objet de la bioéthique)."


Nous sommes face à une tendance de fond qui cherche à réorganiser le fonctionnement de la société autour de la contractualisation des rapports sociaux et du principe d'autonomie de la volonté qui s'exprime par le consentement.


Cette dynamique qui est à l'œuvre dans les velléités de réglementer la prostitution et la maternité de substitution se manifeste aussi dans la volonté de faire du consentement le point d'orgue de la définition du viol.


On est dans une extension du domaine du contrat. C'est dangereux, car cela nie les rapports de force à l'œuvre, comme si nous étions tous sur un pied d'égalité : cette dépolitisation est un risque majeur pour les plus vulnérables.
Baser la définition du viol sur le consentement, s'inscrit déjà dans une dynamique de contractualisation des rapports humains : c'est une forme privatisation de la question du viol.

On ne va plus se demander si une personne a voulu abuser d'une autre, utiliser son pouvoir pour la soumettre et profiter d'elle comme d'un objet, donc analyser le comportement de l'agresseur et son adéquation avec les normes sociales, avec ce que nous considérons comme un comportement acceptable ou non de la part des membres de notre société.


On va analyser l'existence du consentement, comment il s'est manifesté ou pas, s'il était suffisamment clair ou pas: analyser et scruter le comportement de la victime et voir si le contrat a été valablement formé.


C'est un retour en arrière d'au moins 50 ans.

Comparons avec une autre infraction: Article 311-1 du CP : Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui.


On se focalise exclusivement sur le comportement du voleur et son intention criminelle : soustraire frauduleusement.


Se demande t-on si la victime était consentante et si c'était un prêt ou une donation ? 


Ça pourrait, pourtant.


S'imagine t-on qu'il serait plus pertinent de redéfinir le vol ainsi : Le vol est le fait de prendre la chose d'autrui sans son consentement ? Ou est passée l'intention frauduleuse ici ? La focalisation sur le comportement du criminel ?


Non, cette formulation met sur le même plan voleur et volé, les renvoyant dos à dos dans la nécessité de se justifier.


Une telle formulation masque la volonté de prédation, l'intention d'abuser l'autre.


Elle masque l'opposition entre les postures des deux personnes en présence: un prédateur, une victime.


Une telle formulation masque qu'en matière pénale, c'est la société qui juge un de ses membres, qui juge son comportement par rapport à la norme sociale: ce n'est pas une affaire privée entre deux individus.


Et là on retrouve encore cette notion de contractualisation, cette volonté par la mise en avant du consentement tout-puissant, de tenir à distance la société de ce qui n'est plus envisagé que comme une affaire privée entre deux personnes qui s'organisent librement entre elles.



En quoi ça vous regarde ? Nous répondent-ils... C'est leur choix! Elles l'ont choisi (devenir mère porteuse, prostituées, esclaves domestiques)... Qui êtes-vous pour leur dicter leur conduite ? Remettre en question leur sacro-saint choix? Circulez! Il n'y a rien à voir!


Et cela s'applique à strictement toutes les types d'exploitation subies par les femmes...


On va se focaliser sur le comportement de la femme prostituée et pas sur celui du client qui s'estime en droit de l'acheter...


Son "consentement" masquera la réalité de qui se joue réellement: un viol tarifé, l'achat du consentement du femme, le viol d'une femme sous contrainte économique.


On va se focaliser sur le comportement de la mère porteuse et pas sur celui des clients qui s'estiment en droit de l'acheter...

Son "consentement" masquera la réalité de ce qui se joue réellement: l'exploitation reproductive d'une femme sous contrainte économique et l'achat de son enfant.


Et ainsi de suite.


L'institution de la liberté, Muriel Fabre-Magnan (2018)


Toute la lutte féministe s'est construite sur le constat que le privé est politique, et que le viol, les violences conjugales, le harcèlement au travail, l’exploitation domestique, les violences conjugales etc. n'étaient pas des affaires privées, qui ne regardaient que deux personnes, mais un sujet politique sur lequel la société entière avait un droit de regard.


Le Backlash anti-feministe que nous vivons est en train de revenir sur tous ces acquis féministes et de nous faire effectuer un bond en arrière de dizaines d'années, en privatisant à nouveau tout un pan des rapports sociaux, en l'occurrence des rapports hommes-femmes.


Est-ce là ce que nous souhaitons ?


Au final, nous sommes sur un point de bascule entre deux conceptions de la société : 


- l'une qui repose sur la toute puissance de la volonté individuelle, une pure logique contractuelle selon laquelle le contrat étant la loi des parties, leurs choix doivent être impérativement respectés : la mise en avant du consentement servant à évacuer toute possibilité de remettre en question lesdits choix. 


- l'autre, selon laquelle la volonté individuelle n'est pas toute puissante mais doit s'exercer dans un cadre protégeant l'intérêt général et notamment les plus vulnérables et ce, peu importe qu'il y ait consentement ou non.


La volonté des individus peut y comporter des limites tenant à l'ordre public, à l'intérêt général, au respect de principes supérieurs.


C'est le cas en France par exemple pour le principe de dignité humaine (GPA, lancer de nain...) ou certains intérêts comme la protection de mineurs (le consentement est inopérant avant l'âge de 15 ans: tout acte sexuel avec un mineur de 15 ans est automatiquement considéré comme un viol indépendamment de son supposé consentement ).


Cette extension du domaine du contrat que certains réclament implique la mise en place d'un nouvel équilibre juridique entre libertés individuelles et intérêt général/libertés collectives, ainsi qu'un renforcement des unes au détriment des autres.


Cela dépasse d'ailleurs la question de la marchandisation : si extension du domaine du contrat et marchandisation peuvent coïncider, elles ne se confondent pas, l'extension du domaine du contrat étant un préalable nécessaire à la marchandisation, sans qu'elle puisse y être confondue.


Par exemple, l'être humain ne peut faire l'objet d'un contrat que ce soit à titre marchand ou non marchand.


Je ne peux pas non plus renoncer par contrat aux bénéfices de certains de mes droits et libertés: divorcer, aller et venir, travailler...


Ce qui pose d'ailleurs problème dans les contrats de mère porteuse où la femme renonce à l'exercice de nombreux de ses droits fondamentaux.


N'abdiquons pas nos principes et notre cadre protecteur basés sur la prééminence de la dignité de la personne humaine au profit d'une vision ultralibérale, contractuelle et dépolitisée des rapports humains basée sur une vision dévoyée de la notion de liberté.


Les femmes et toutes les autres personnes en situation de vulnérabilité méritent mieux de notre part à tous, à commencer par notre protection contre les abus dans lesquelles leur situation de fragilité les place.



 

POUR ALLER PLUS LOIN...




Post de Valérie Kokoszka : Un post essentiel à lire sur la question de la contractualisation et de l'empire du "consentement" dans le cadre de l'exploitation des femmes comme mères porteuses et du basculement des valeurs et de société que cela représente en réalité sur le plan général.


Avec la mise en exergue du même problème que pose le "consentement" dans le cadre du viol et de la prostitution: l'invisibilisation des rapports de force sous-jacents et de l'"asymétrie" qu'il existe entre les "co-contractants".


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