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Photo du rédacteurJude D.

La baguette non-magique du consentement

Dernière mise à jour : 27 sept.

L'introduction dans la loi de la notion de consentement n'est non seulement pas la panacée que l'on nous vend, mais elle pourrait se révéler totalement contreproductive notamment en renforçant l'idée empreinte de culture du viol, que les femmes sont par nature dans un état de disponibilité pour une "relation sexuelle".



Depuis quelques années, l'idée de modifier la définition légale du viol pour y introduire la notion de consentement revient comme un refrain entêtant et divise les féministes.


A la faveur de l'affaire #Mazan qui occupe les colonnes du monde entier, il n'était donc pas étonnant qu'elle effectue un retour en force.


C'est Laurence Rossignol, militante féministe, Sénatrice et ancienne Ministre des droits des femmes, qui incarne cette ambition et a annoncé le dépôt d'une proposition de loi notamment destinée à ajouter à l'article 222-23 du code pénal, "un alinéa indiquant qu'une relation sexuelle sans consentement est un viol".


J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de m'exprimer sur ce que je pense de la notion de consentement en général, je vais ici m'attacher aux problématiques qu'elle pose sur un plan purement juridique, en particulier.


Une erreur fréquente que je vois passer régulièrement concernant la définition légale du viol consiste à dire que la formulation actuelle de la loi induit une présomption de consentement, comme l'exprime ici Madame Rossignol.


Or, non, il n'existe bien évidemment aucune présomption de consentement, au moins en droit français. Le corolaire étant que l'on n'a pas non plus à prouver le non-consentement de la victime.


On doit prouver qu'il y a eu viol:


-élément matériel: acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital sur la personne de l'auteur ou de la victime.


-élément moral: volonté d'abuser de la victime, de se servir d'elle à des fins sexuelles en dépit de sa volonté, en utilisant divers stratagèmes pour parvenir à ses fins (violence, contrainte, menace, surprise).


C'est donc le comportement de l'agresseur qui est scruté, ses actes et ses intentions que l'on doit démontrer.


Prouver que la victime était en réalité consentante n'est qu'un moyen de défense que l'agresseur peut utiliser pour se dédouaner: et c'est parfaitement logique qu'il s'en saisisse, puisque c'est souvent le seul à sa disposition.


Avec une définition du viol basée sur le consentement, ce qu'il y a à prouver est par contre le non-consentement à l'acte sexuel, comme le relève très bien notre sœur féministe dans le post ci-dessus. 


A partir du moment où la définition d'un viol devient un acte sexuel non consenti, arguer que la victime était consentante restera le moyen de défense naturel de l'agresseur. Ce qui ne change donc strictement rien à l'affaire.


Déjà dans l'approche française qui focalise sur l'agresseur on passe son temps dans les audiences à entendre parler de la victime, alors imaginez dans une approche purement basée sur le consentement...


Par ailleurs, ce serait un point de bascule majeur, car en droit pénal français, l'élément moral de l'infraction s'apprécie du point de vue de l'agresseur, pas de la victime, qui est celle qui subit la situation et dont les intentions sont donc hors sujet ni à mettre sur le même plan.


En ce sens et c'est le pire, redéfinir la notion de viol autour de celle du consentement de la victime plutôt qu'autour de l'intention de l'agresseur d'utiliser sciemment la menace, la contrainte, la violence ou la surprise pour profiter de sa victime, revient à adopter le point de vue de l'agresseur en utilisant son moyen de défense privilégié "Mais elle était consentante" pour en faire, dans un retournement complet, le point unique et central de la définition de ce crime.


Hélas, cette confusion est extrêmement fréquente comme en témoigne le post ci-dessous.



Là encore, non mille fois non, une définition du viol qui ne se base pas sur la notion de consentement se signifie absolument pas que nous sommes présumées consentantes...


L'infraction de vol ne fait pas référence au consentement, pour autant on n'est pas toutes présumées consentantes à ce que l'on s'approprie nos effets personnels.


L'infraction de meurtre ne fait pas référence à notre consentement, pourtant on n'est pas toutes présumées consentantes à ce que l'on mette fin à notre vie.


Cette comparaison est d'ailleurs faite à dessein... Les discussions sur l'euthanasie nous laissent entrevoir la reconnaissance de la possibilité d'une forme de "meurtre consenti".


Et absolument rien n'empêche à une personne d'invoquer le consentement de la victime à sa propre mort, comme ligne de défense, ça a d'ailleurs déjà été le cas dans plusieurs affaires d'euthanasie et c'est régulièrement le cas dans des affaires de féminicides perpétrés sur des femmes âgées... El famoso "meurtre altruiste"...


Va t-on redéfinir le meurtre comme le fait de donner la mort à autrui sans son consentement, pour se prémunir de ce type de stratégies de défense?


Imagine t-on redéfinir le vol comme le fait de soustraire la chose d'autrui sans son consentement ?


Avouons que ce serait assez ubuesque et ne viendrait à l'idée de personne.


Pourquoi ? Car par nature, on se doute que si un acte est considéré comme une infraction relevant du code pénal, on ne part pas du principe que la victime pourrait avoir consenti à ce que ledit crime soit perpétré contre elle. Cela n'a littéralement pas de sens.


Il en va de même de toutes les autres infractions.


Serais-ce que le viol serait le seul crime ou l'on pose, à priori, sans que rien que nous invite à le penser, que la victime pourrait être consentante, c'est à dire une "présomption de consentement" ?


Les athéniennes s'atteignirent.



Oui, il n'y a que pour le viol que l'on remette en question systématiquement la parole de la victime.


Jamais on ne se dit, ok il a dit s'être fait cambrioler, mais si ça se trouve c'est juste un coup monté pour arnaquer son assurance!


Ce ne sera jamais le 1er réflexe face à un vol, pas non plus de oui, mais la présomption d'innocence, pour le commerçant qui porte plainte contre le braqueur de son magasin...


Donc ce n'est certainement pas de mettre au centre du sujet le comportement de la victime comme si c'était celui qui devait être examiné qui va améliorer la situation...


Ce n'est pas en faisant du viol la seule infraction ou on met en avant le comportement de la victime plutôt que celui de l'agresseur que le traitement judiciaire du viol va s'améliorer.


Car c'est exactement ce que risque de faire une réécriture de la loi sur la base du consentement. En sachant que c'est déjà trop souvent le cas en l'état actuel de la loi.


C'est le comportement de l'agresseur qui doit occuper le centre de l'attention, c'est à lui de rendre des comptes. C'est lui que l'on juge.


Il est donc faux de dire que la loi telle que rédigée actuellement pose une "présomption de consentement".


C'est au contraire bien en définissant le viol comme une relation sexuelle non consentie et en demandant donc à la victime de prouver qu'elle n'était pas consentante, donc de se justifier, qu'on instille l'idée d'une telle "présomption de consentement".


En outre, quand on pose comme définition du viol qu'il serait une "relation sexuelle sans consentement", on part du principe qu'un viol entre dans le champ du relationnel. On présume donc, a priori, que ce viol se passe dans un contexte relationnel dans lequel une relation sexuelle consentie aurait pu être plausible.


Cette vision du viol, en ce qu'elle envisage systématiquement le viol dans un cadre de référence où l'existence d'un consentement est considéré par nature et par définition comme une possibilité raisonnable, donc comme a priori probable, fait pleinement partie de la culture du viol contre laquelle nous luttons depuis la nuit des temps.

Car non, dans de très nombreux viols une telle possibilité ne se pose tout simplement pas et pire masque le fait que le viol est une viol-ence.


Continuer à répandre l'idée qu'un viol est un rapport sexuel, participe de la culture du viol.


Les mots ont un sens et la première bataille que nous menons, féministes, est conceptuelle.


Non, un viol n'est pas un rapport sexuel, ni une relation sexuelle, mais une agression, un acte de violence et de domination.


Comme dit en substance le célèbre slogan:"Un viol ne relève pas plus du rapport sexuel qu'un coup de pelle dans la gueule ne relève du jardinage"



On trouvera ci-dessous un exemple édifiant de cette problématique...



Bien que cela ne parte pas d'une mauvaise intention, loin de là, ce genre de propos est extrêmement grave et tristement révélateur de la distorsion patriarcale de la réalité dans laquelle nous vivons.


Imaginons!


Je promène mon chien tranquillement quand deux hommes se jettent sur moi et me sodomisent: est-ce une "activité sexuelle entre des individus" ?


Je suis une villageoise dans un pays en guerre et des soldats se mettent à nous violer moi et les autres femmes du village: est-ce une "activité sexuelle entre des individus" ?


Je suis prisonnier politique et mes geôliers lors d'un interrogatoire se mettent à me pénétrer violemment avec un manche à balai: est-ce une "activité sexuelle entre des individus" ?


Dire cela paraîtrait complètement indécent à n'importe qui.


C'est une vision misogyne et patriarcale du viol qui adopte le point de vue de l'agresseur.



 

Le viol est un crime passible d'une peine minimum de 15 ans de prison qui fait l'objet d'une définition légale à laquelle on peut reprocher tout ce que l'on veut, mais qui a au moins le mérite de s'ancrer dans une matérialité qui permet de questionner et confronter le comportement de l'agresseur sur la base de faits précis et tangibles.


Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. Article 222-24 du code pénal.

Tout comme pour toutes les autres infractions, c'est le comportement de l'auteur qui est visé, ses actes, ses intentions.


La loi incrimine l'intention criminelle de l'auteur du viol, c'est pourquoi elle porte la focale sur son comportement à lui: l'élément moral du crime de viol étant justement la conscience de l'auteur d'imposer un acte de pénétration sexuelle (ou bucco-génital etc.) à autrui contre sa volonté, cette intention criminelle se déduisant des moyens utilisés par l'auteur énumérés par la loi à savoir violence, contrainte, menace, surprise; autant de moyens matériels utilisés par l'auteur afin de parvenir à ses fins: une pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital.


La loi pénale doit garder pour objectif de fixer une limite claire entre les comportements qui sont autorisés et proscrits. Elle fixe une norme de comportement. Et la norme de comportement qu'elle édicte doit continuer à concerner l'auteur, pas sa victime.


En ce sens, il est important que, comme pour les autres infractions, ce soit le comportement de l'auteur qui soit visé par la loi et non celui de la victime, lequel est déjà hélas, en l'état actuel de la législation, au centre de toutes les attentions et les débats, puisque la mise en avant du consentement de la victime, est le principal moyen de défense utilisé par les auteurs une fois la matérialité des faits établie.


Cela étant dit, la formulation de la loi actuelle est-telle efficace, et suffisante eu égard au but poursuivi ? Ça se discute. C'est une question plus que légitime que l'on doit se poser.


Bien que je ne sois pas certaine que ce soit les termes de la loi qui posent le problème principal dans la mauvaise prise en charge du viol et des violences sexuelles en France, je pense que sa formulation pourrait sans aucun doute être améliorée.


Mais la notion de consentement n'est certainement pas la panacée espérée, voire pourrait se révéler contre-productive: L'enfer est hélas pavé de bonnes intentions.


Par ailleurs, avec l'écrasante majorité des viols qui sont commis par une personne connue de la victime, la lutte contre les violences sexuelles dépasse largement le cadre de la formulation d'un texte de loi, mais doit mobiliser largement et à tous les niveaux à commencer pour la lutte contre la prolifération des discours sexistes et misogynes qui banalisent les violences sexuelles en ligne et dans les médias.


Par ailleurs l'un des problèmes principaux, est que l'écrasante majorité des viols n'arriveront jamais devant un juge et dans l'écrasante majorité des cas ce sera faute de preuves.



Le chantier pour améliorer la réponse pénale au viol et lutter contre les violences sexistes et sexuelles en général, doit mobiliser l'intégralité des acteurs et intégrer également la dimension préventive, essentielle en la matière; par ailleurs la réponse pénale n'est pas la seule que l'on peut mobiliser ; enfin la cristallisation du combat, cette volonté d'inscrire la notion de consentement dans la loi masque trop souvent le tableau d'ensemble et la complexité de cette question de société cruciale et essentielle.


J'aurai bientôt l'occasion de revenir en détail sur une stratégie et une série de mesures qui me sembleraient efficaces dans l'objectif de ne pas prendre cette question que par le petit bout de la lorgnette du consentement mais au bénéfice d'une approche globale et structurelle.


 

POUR ALLER PLUS LOIN...



Lectures:


Le viol redéfini, Katharine Mc Kinnon

La conversation des sexes: Philosophie du consentement, Manon Garcia


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