La manière fulgurante avec laquelle la question du consentement a fait irruption dans l'espace médiatique à l'occasion du procès #Mazan doit nous interpeller car elle illustre un des problèmes que pose cette notion.
En effet, focaliser les débats entourant le procès #Mazan autour du consentement est dangereux car cela revient à adopter la stratégie de défense des agresseurs en détournant l'attention de leur comportement criminel pour pointer du doigt les victimes.
Ce samedi 5 octobre dans l'après-midi, se déroulait une marche en soutien à Gisèle Pélicot, la victime de l'affaire #MAZAN, procès hors normes qui suscite l'intérêt et alimente les débats dans le monde entier.
Dans le prolongement de ce que j'ai pu constater sur les réseaux et dans la presse, sur le plateau de BFMTV, un mot n'a pas quitté les lèvres des différents invités qui commentaient cet évènement: le consentement.
À chacune des interventions que j'écoutais, je m'enfonçais un peu plus dans un abîme de perplexité et de malaise, tant ce procès ne me semble être ni le lieu ni le moment pour propulser sur l'avant scène cette notion inepte, que l'on nous sert à toutes les sauces et qu'on nous présente comme le St Graal de la lutte contre les violences sexuelles.
Il est quand même fascinant que le "consentement" fasse une irruption tonitruante auprès de tous les journalistes, chroniqueurs, experts et autres rats de plateaux TV précisément à l'occasion de l'Affaire de viol, avec un grand A, qui s'y prête le moins, puisque la question du consentement de la victime ne se pose pas, aucun accusé n'alléguant pour sa défense que la victime était consentante.
Le principal accusé, son mari, le maître des opérations, qui a organisé les visites des 51 accusés à son domicile en vue d'imposer des actes sexuels à sa femme inconsciente qu'il avait préalablement pris le soin de droguer, a plaidé coupable et n'a jamais allégué, pour se défendre, que sa femme était consentante. Il a même clairement affirmé qu'elle n'était au courant de rien.
Aucun des autres accusés, parmi ceux qui se disent innocents, n'a non plus allégué, pour se défendre, que Mme Pélicot était consentante; exception faite, peut-être, d'un unique accusé qui a tenté une défense complotiste, en se faisant passer pour la victime d'une possible machination dont Mme Pélicot et son mari seraient les complices, théorie qui a suscité l'hilarité du public à défaut d'en emporter l'adhésion.
Comment donc expliquer que le mot "consentement" soit sur toutes les lèvres ? Pourquoi c'est à l'occasion de ce dossier, qui ne s'y prête guère, que ce concept fait une percée fulgurante ?
Je serais mauvaise langue, je répondrais "Diversion" à la question du "Pourquoi?".
Comme a toute mauvaise langue, mauvaise langue et demie, j'ai eu le grand bonheur de constater alors que j'en étais à ce stade de mes réflexions, qu'Anne-Cécile Mailfert, la Présidente de la Fondation des Femmes, était sur le plateau et avait l'air aussi lasse et dépitée que moi.
Je ne peux que la remercier pour son intervention parfaite, qui au-delà d'interrompre momentanément l'envie que j'avais de me pendre, a permis de recentrer le débat sur le point central: les hommes violeurs, leur comportement, leurs stratégies.
Anne-Cécile Mailfert a, à juste titre, dénoncé le glissement auquel nous assistons au cours de ce procès #Mazan qui consiste en une cristallisation de l'attention sur la notion de consentement alors qu'elle est hors sujet et parasite les débats.
En effet, voilà, à nouveau, qu'au lieu de parler du comportement des agresseurs, nous nous retrouvons à parler encore et toujours du comportement de la victime et de son pseudo "consentement". Et ce, alors même que nous sommes précisément dans un dossier où ça n'a pas lieu d'être.
C'est littéralement sidérant.
Cette omniprésence de la notion de consentement comme Anne-Cécile Mailfert l'a parfaitement dit, revient à adopter la stratégie de défense des accusés qui cherchent à se déresponsabiliser, noyer le poisson et détourner l'attention de ce que l'on devrait scruter et analyser: leur comportement, leur schéma de pensée, la préméditation et les manœuvres qu'ils ont mises en place pour parvenir à leurs fins.
Ce qui devrait occuper notre attention, c'est le fait que ces 51 hommes se soient rendus en toute connaissance de cause sur un forum dénommé "A SON INSU", et aient longuement ORGANISÉ et PLANIFIÉ, le fait de se livrer à des actes sexuels sur une femme inerte, en plein milieu de la nuit et en suivant un protocole strict conçu par son mari afin de ne pas se faire repérer et à ne pas la réveiller.
Voilà ce que nous devons scruter avec attention...
Ce qui devrait nous préoccuper au plus haut point c'est que des hommes en 2024 puissent dire sans sourciller en pensant se dédouaner "C'est sa femme il en fait ce qu'il veut"...
Ce qui devrait nous préoccuper c'est le degré de haine des femmes et de misogynie de ces hommes qui semble n'attendre que l'occasion de pouvoir s'exprimer en actes.
Ce sont aussi leurs piètres explications et autres tentatives de justifications qui sont autant d'insultes à notre intelligence et à notre bon sens, et qui ont pour tout mérite de porter une lumière crue sur la vision banalement misogyne et patriarcale qu'ils ont des femmes et des "relations" sexuelles qu'ils ont avec elles.
C'est aussi le fait qu'ils pensent nous convaincre qu'ils sont de pauvres victimes d'eux-mêmes, incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles, victimes de femmes récalcitrantes ou incapables de satisfaire leurs sacro-saints besoins qui doivent être comblés à tout prix.
Femmes, censées êtres leur compagnes, mais pour qui ces hommes n'ont aucun complexe à reconnaitre n'avoir pas le moindre début de considération, d'empathie, sans même parler de sentiments.
"Elle a eu de grosses douleurs, je faisais au plus vite"
"Les sentiments n'ont jamais été très hauts"
"Je lui reprochais de faire l'étoile de mer"
Formulations qui traduisent une vision de la sexualité à sens unique, profondément égoiste, uniquement centrée sur le plaisir et les desideratas des accusés.
Ce qui devrait nous alarmer, c'est qu'en 2024, tant d'hommes feignent de découvrir ce qu'est un viol, et aient eu besoin d'un procès pour savoir qu'une femme n'est pas une poupée gonflable ou l'esclave de son mari que l'on peut utiliser comme un sex-toy à volonté, mais un être humain sensible, qui peut désirer ou pas une relation sexuelle et qui est dotée de cordes vocales lui permettant d'exprimer son envie du moment.
C'est encore leur comportement désinvolte, méprisant, sans aucune empathie pour leur victime, eux, qui au fur et à mesure que les jours s'égrènent, fraternisent et vivent des rapprochements complices sans complexe aucun. Solidarité masculine y es-tu?
Ce qui devrait aussi grandement nous alerter c'est le manque de conséquences sociales que vivent les accusés et le fait que pour l'instant la honte soit loin, mais alors très loin d'avoir changé de camp.
Il suffit de voir comment tout est fait pour les aider à protéger leur identité, leurs visages et même leur "dignité"... Laquelle a déclenché la décision du Président du Tribunal de ne pas diffuser en public les vidéos des viols et ce contre l'avis de la victime; un décision qui a heureusement par la suite été annulée.
Dans le prolongement de cela, la réaction des hommes face à ce procès se fait très timide quand elle ne génère pas des réflexes d'auto-protection, qui peuvent aller jusqu'à la franche hostilité. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'on est très loin de ressentir un élan massif de remise en question ou une vraie volonté d'impulser un changement de paradigme...
Ne leur en déplaise, beaucoup d'hommes semblent plus soucieux de nous expliquer que ce n'est qu'un fait divers, que ce sont des monstres déviants, que #NotAllMen, qu'eux sont de bon pt'its gars qui n'en touchent pas une... Que d'entamer une réflexion collective et d'interroger leur participation dans ce système qui a rendu, et rend chaque jour, les violences sexistes et sexuelles que subissent les femmes possibles.
Comment est-ce possible que tant d'hommes, apparemment au dessus de tout soupçons, bien insérés socialement, aient pu se rendre coupables de tels actes, sans que cela n'éveille en eux le moindre début de remise en question et de culpabilité ?
Voilà le sujet. Le sujet qu'occulte l'omniprésence de ces vaines digressions sur le "consentement", alors qu'elles sont ici complètement hors sujet.
Observez.
Observez l'aplomb avec lequel cet homme formule ses dénégations et nie toute responsabilité, en se faisant presque passer pour une victime...
Même mis face à des preuves matérielles incontestables qui contredisent ses dires.
Maintenant, Imaginez. Imaginez que tous les jours des victimes de viol et d'agressions sexuelles se retrouvent confrontées en audience à des hommes qui déploient les mêmes stratégies discursives, sauf qu'elles n'ont pas ces preuves matérielles incontestables pour contredire leurs jérémiades.
Juste leur parole contre la parole de leur agresseur.
Juste leur vérité contre les dénégations outragées et larmoyantes de leurs agresseurs.
Et mesurez l'ampleur du problème.
Gardez bien à l'esprit que même dans un cas aussi limpide et lisible que celui de l'affaire #Mazan, avec des kilomètres de bande vidéo, des montagnes d'échanges de mail, de sms, de conversations sur des forums, d'aucuns croient devoir bon scruter le moindre soubresaut, ronflement, frémissement de cils, d'une femme inconsciente afin de tenter de remettre en question son degré d'inconscience...
Et prenez conscience de l'ampleur du problème auquel sont confrontées les femmes victimes tous les jours pour tenter de prouver leurs dires et faire valoir leur vérité.
Le traitement médiatique de ce dossier n'arrange d'ailleurs rien à l'affaire.
Beaucoup trop de crédit et d'importance sont accordées aux justifications farfelues des accusés et l'omniprésence de la notion de consentement dans le cadre de ce dossier où elle n'a absolument pas sa place est symptomatique de ce réflexe qui consiste à systématiquement détourner l'attention du coupable pour la porter sur la victime, ce qui est une des caractéristiques principales du crime de viol.
Et pour cause... Le maintien du statut quo commande que l'on n'adresse surtout pas l'éléphant au milieu de la pièce:
Pourquoi les hommes violent les femmes ?
Pourquoi notre société fait-elle preuve d'une telle tolérance à cet égard ou encore comme si de rien n'était ?
Pourquoi poser les deux questions précédentes est considéré comme un crime de lèse-majesté?
Là est la question.
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Merci également à Anne Cécile Mailfert d'avoir rappelé que la loi actuelle dispose de tous les outils pour permettre de juger ce dossier, loin du message qui ressort de certains propos qui semblent induire que l'arsenal législatif actuel ne permettrait pas d'aboutir à une condamnation comme si en l'état actuel de la règlementation, le fait d'imposer à une femme inconsciente des actes sexuels n'était pas constitutif d'un viol...
Ce qui est non seulement complètement faux et en plus va, encore une fois, dans le sens de la stratégie des agresseurs: ben oui, les pauvres comment pouvaient-ils se rendre compte que ce qu'ils faisaient était un viol, si même les spécialistes et politiques sur les plateaux TV trouvent que la loi actuelle n'est pas suffisamment claire et qu'il faut en passer une nouvelle pour bien que les messieurs puissent comprendre que mettre son zizi dans la zézette d'une dame endormie ou inerte est un viol...
L'enfer est pavé de bonnes intentions.
Et ceux qui courent les plateaux TV pour expliquer, avant même qu'une condamnation soit intervenue, soit en plein procès, qu'il faut changer la loi pour que des dossiers comme celui de #Mazan ne se reproduisent pas, ou aboutissent à des condamnations, induisent dans l'idée du public que le comportement des accusés n'était donc pas condamnable en l'état actuel du droit, ou encore que tout compte fait, ces hommes ont bien pu s'imaginer en toute bonne foi que leur comportement n'avait rien de problématique, car la loi n'étant pas suffisamment claire, elle pouvait laisser place à de mauvaises interprétations et autres malentendus, et qu'au final il est bien possible qu'ils n'aient pas eu la conscience ou l'intention de violer la victime...
Ben oui... C'est qu'ils ne sont pas des "violeurs dans l'âme" ces gentils messieurs-tout-le-monde...
Pardonne leur Seigneur, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient!
Un bien beau soutien à la stratégie des agresseurs.
Oui, l'enfer est pavé de bonnes intentions et il faut prendre en compte tout ce qu'impliquent nos propos y compris les détournements qui peuvent en être faits.
Je remercie également beaucoup Anne-Cécile Mailfert d'avoir rappelé que la définition du viol qui figure dans la loi actuelle, qui date initialement de 1980, résulte d'une évolution par rapport à celle qui existait précédemment et qui justement reposait sur le consentement et aboutissait à porter toute l'attention sur le comportement de la victime au lieu d'examiner celui de l'agresseur.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le "consentement" n'est pas du tout le concept novateur qu'on veut bien nous présenter.
Merci donc d'avoir expliqué que de revenir à une définition du viol basée sur le "consentement" pourrait constituer non pas une évolution favorable au victimes, mais en réalité un funeste retour en arrière.
Merci enfin d'avoir expliqué que nous n'avancerons pas sur ce sujet par le petit bout de la lorgnette du consentement mais qu'il faut mettre en place une LOI INTÉGRALE dédiée à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et qui s'attaque à tous les aspects du continuum des violences.
C'est une idée à laquelle je souscris TOTALEMENT.
Merci à elle pour ce petit rayon de lumière qui a percé à travers le brouillard épais du traitement médiatico-politique catastrophique de cette affaire.
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