Pour en finir avec la femme indépendante
- Jude D.
- 22 juin 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 févr.
La rhétorique de "la femme indépendante" en ce qu'elle institue l'autonomie des femmes comme un fait exceptionnel, une anomalie, est profondément misogyne et vise à fixer la vocation des femmes en tant que sous-fifres naturels des hommes.

“Je ne connais strictement AUCUNE FEMME qui accepterait d’être dépendante d’un homme”
Je dirais même plus… En ce qui me concerne, je ne connais aucune femme qui se pose la question en ces termes ni ne se la soit jamais posée ainsi…
Jeunes filles, quand nous discutions entre nous du choix de notre futur métier, nous devisions alors à propos de nos gouts, de nos passions, du style de vie que nous avions envie de mener plus tard, de notre salaire, de nos qualités, de nos défauts, de nos convictions et de nos valeurs.
Mais le fait de ne pas vouloir dépendre d’un homme n’est jamais entré en ligne de compte ni ne nous a effleuré l’esprit.
Tout comme, j’imagine, aucun jeune garçon ne s’est jamais dit qu’il voulait faire tel métier pour ne pas dépendre d’une femme…
La question ne se posait tout simplement pas en ces termes.
La manière dont certains hommes n’envisagent la question du travail des femmes que selon le paradigme dépendance/indépendance de celles-ci par rapport à un homme est très révélatrice de l’image qu’ils se font des femmes : un appendice des hommes dont ils s’imaginent la vie et les choix déterminés uniquement en fonction d’eux, qu’il s’agisse pour les femmes d’aller dans le sens qui les arrange ou pas.
Ils ne perçoivent pas les femmes comme des êtres humains à part entière, autonomes tout comme eux, avec leurs ambitions, leurs rêves, leurs désirs, leurs besoins, leurs objectifs de vie, leurs projets, leurs passions…
Ces hommes ne nous voient tout simplement pas comme des êtres humains, qui, comme eux, ont envie d’une vie remplie, riche et épanouissante, de participer à la marche du monde en faisant ce qui nous passionne et ce pour quoi nous sommes douées.
Un être humain normal, en somme.
Je suis entourée de tellement de femmes qui vivent leur vie entre leurs ambitions professionnelles, leurs diverses passions et activités, pour elles, sans considération pour un quelconque homme d’aucune sorte, juste comme n’importe quelle personne normale en fait, que quand j’entends ces individus s’exprimer, je me demande vraiment dans quelle dimension parallèle ils vivent pour avoir une vision des femmes aussi déconnectée de ma réalité quotidienne.
C’est que dans leur tête, les femmes vivent et n’existent pas par et pour elles-mêmes, mais par et pour les hommes.Dans leur tête, l’homme, qu’ils confondent avec l’Homme, est le centre de son propre monde, et la femme un simple électron qui gravite à la périphérie de celui-ci.
La femme n’est perçue que comme une vulgaire extension de l’homme. Elle ne dispose pas de son monde à elle ni n’est le centre de sa propre vie.
Non : son centre à elle, c’est un homme dont elle n’est que l’appendice accessoire. Le concept de La femme indépendante traduit bien cette problématique.
Parle t-on de L’homme indépendant pour évoquer un homme qui a un travail et mène juste sa vie d’adulte ? Non. C’est simplement la normalité… Quelque chose de banal qui correspond au fait d’être un homme adulte qui vit sa vie et doit subvenir à ses besoins.
Le simple fait de ressentir le besoin d’utiliser la forme adjectivée La femme indépendante — qui est franchement ridicule et risible quand on y pense vraiment — est révélateur du fait que le travail ie l’activité rémunérée des femmes et le fait qu’elles mènent leur vie comme n’importe quel adulte basique, est perçu non comme la normalité mais comme l’exception, non comme quelque chose qui fait partie du package normal de la vie de toute femme adulte normalement constituée mais comme quelque chose d’optionnel.
L’archétype patriarcal de La femme indépendante s’inscrit donc dans un récit d’exceptionnalisme.
La normalité pour un homme c’est l’indépendance et donc in fine la liberté : c’est pourquoi il n’est nullement besoin de lui accoler le mot indépendant … Car cela va tout simplement de soi.
A l’inverse, la normalité pour une femme c’est la dépendance et donc in fine l’assujettissement : c’est pourquoi il est nécessaire de lui accoler le mot indépendante pour désigner telle femme qui se distingue de ce modèle attendu… Car cela ne va tout simplement pas de soi.
Cela traduit encore une fois le fait de la vie des femmes n’est envisagée qu’en rapport avec celle d’un homme : dépendre d’un homme serait ainsi la condition normale d’être une femme et en conséquence, le couple, un passage obligé.
La femme indépendante fait donc figure de transfuge de classe, une femme qui est perçue comme échappant à sa condition normale de femme.
Une usurpatrice, une satanée voleuse de ce fameux travail qui appartiendrait aux hommes, selon eux.
Ce qui explique que cette fameuse La femme indépendante, figure archétypale s’il en est, soit le cauchemar et l’épouvantail des mascus de tous poils, la Némésis qui suscite leur Ire et leurs crises de pénistérie depuis toujours.
C’est d’ailleurs en parlant de cet endroit-là que des hommes peuvent se permettre de dire sans sourciller que Les femmes prennent Leur travail…
C’est aussi en parlant de cet endroit-là que des hommes tout en s’appropriant le monde professionnel et en expliquant aux femmes que leur place est à la cuisine, leur reprochent de n’avoir jamais rien fait qui ait un jour servi à façonner le monde et leur expliquent qu’en conséquence elles dépendent d’eux pour leur protection et leur survie…
Tout comme les hommes violents et maltraitants traitent leur femme de bonne à rien qui ne fait rien de ses dix doigts à part dépenser Leur argent et sont incapables de vivre sans eux, après les avoir sommées d’abandonner leur métier pour se consacrer à la gestion des enfants et du Ménage…
Encore une fois, on se rend compte que les hommes utilisent les mêmes méthodes pour contrôler et soumettre leur femme sur un plan individuel, que les hommes en tant que groupe social, pour soumettre les femmes à l’échelle collective.
Bien que l’on vive dans une société où l’égalité hommes-femmes est portée sur les fonds baptismaux et coulée dans le bronze, et dans laquelle les femmes occupent une place bien plus importante qu’elles ne l’ont jamais eue auparavant, force est de constater que la mentalité patriarcale que je viens de décrire, qui devrait avoir normalement disparue dans les culs-de-basse-fosse de l’histoire, est encore très ancrée dans la tête de certains hommes et constitue un frein important à ce que nous, femmes, prenions réellement notre place dans cette société qui est la notre et nous y épanouissions pleinement.
Ce problème est d’autant plus prégnant que nous subissons actuellement une vague de discours ultra conservateurs réactionnaires, souvent ancrés dans des fondamentalismes religieux, qui visent spécifiquement les jeunes via les réseaux sociaux et dont l’objectif non dissimulé, est de remettre les femmes à leur place ie en état de subordination, de dépendance et de soumission par rapport aux hommes.
Ces discours, ont hélas déjà commencé à produire leurs effets pernicieux, en témoigne l’état alarmant du sexisme en France révélé par le dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité Hommes-Femmes.
Rien n’est jamais acquis et nous devons être extrêmement vigilantes.
A commencer par le fait de porter une extrême attention aux mots et concepts que nous utilisons sans y penser et qui de manière induite et indirecte distillent leur venin à notre insu et finissent par nous coloniser.
Le concept de La Femme indépendante est de ceux-là.
Et je me rends compte que chez encore beaucoup de femmes, ce point de vue masculin, ce logiciel patriarcal est encore ancré si profondément que cela les place dans l’incapacité totale de se vivre par et pour elles-mêmes et de se placer, elles, leurs désirs, leurs besoins, leurs rêves, leurs ambitions, au centre de leur propre vie.
Au point que certaines femmes semblent même avoir oublié que l’objectif du féminisme était, est et restera la libération et d’émancipation des femmes… de la domination des hommes… : libération… liberté, autonomie, indépendance… émancipation… affranchissement… décolonisation… C’est notre objectif.
Et nous saurons que nous l’avons atteint le jour où La femme indépendante aura définitivement disparu dans les oubliettes de l’histoire au profit… Des femmes.
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